Risques bancaires en Europe : faut-il craindre le pire ?

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Risques bancaires suite à la faillite de la SVB et du rachat de Crédit Suisse : faut-il craindre le pire ?

Récemment, des banques telles que Silicon Valley Bank, Silvergate Bank et Signature Bank ont fait faillite, tandis que Crédit Suisse, First Republic Bank et Deutsche Bank connaissent des difficultés majeures. Ces événements remettent en question la stabilité supposée des banques, ainsi que leur capacité à résister à des chocs économiques. La question se pose : faut-il craindre la même situation en Europe ?

Nous avons répondu à cette question et proposé des solutions concrètes pour limiter les risques dans un webinar avec Rexecode et Oderis dont vous pouvez trouver le replay en cliquant sur ce lien. Cet article en propose une synthèse.

Dans la première partie de cet article, nous expliquons pourquoi le marché questionne la solidité des banques, comment cette situation a pu se produire et d’où vient le déséquilibre des bilans bancaires. Au-delà de ces questions, faut-il craindre un bank run et des faillites d’établissements bancaires de la zone euro ?

Dans une seconde partie, nous vous donnerons des pistes pour intégrer ces risques bancaires à votre stratégie, avec 5 bonnes raisons de rester vigilant sans pour autant céder à la panique. Cliquez ici pour accéder au webinar sur le sujet et sur les slides correspondantes.

En préambule : rappel sur le fonctionnement d’un bilan bancaire

Le bilan bancaire est une photographie à un moment donné de la situation patrimoniale d’une banque. Il se compose de l’actif :

  • Prêts interbancaires
  • Crédits à la clientèle
  • Divers
  • Portefeuille titres
  • Immobilisations

Et du passif :

  • Emprunts interbancaires
  • Dépôts de la clientèle
  • Divers
  • Certificats de dépôts
  • Obligations
  • Fonds propres

FR -  Balance sheet of a bank

Le passif renseigne sur l'origine des ressources, c'est-à-dire les fonds collectés par la banque. L'actif informe sur l'utilisation des fonds collectés. Le bilan bancaire sert donc à décrire la santé financière d’une banque. En cas de déséquilibre, des risques pèsent sur la stabilité financière de la banque. Voyons maintenant ce qui s’est passé dans le cas de SVB & CS.

Silicon Valley Bank et Crédit Suisse : l'origine de cette situation

1/ Déséquilibre des bilans bancaires

Ces dernières années, les bilans bancaires ont connu une certaine instabilité à cause des fluctuations économiques (Covid, guerre en Ukraine, inflation etc.) et des politiques monétaires et budgétaires en place.

Par exemple, la mise en place de chèques de stimulus aux États-Unis en 2020 et 2021 a entraîné une forte augmentation de certains bilans bancaires en raison de l'augmentation des dépôts des consommateurs.

Ces fluctuations entraînent des risques pour la stabilité financière des banques. En effet, une augmentation excessive des bilans bancaires peut conduire à une augmentation des risques de crédit et à une baisse de la qualité des actifs détenus.

“Le problème, c'est que la hausse des bilans a pu avoir lieu de manière assez équilibrée sur de nombreuses banques, mais la baisse des bilans, elle, se fait de manière beaucoup plus déséquilibrée, avec des phénomènes de fuite vers la qualité qui fragilise un certain nombre d'acteurs.”

Charles-Henri Colombier, directeur de la Conjoncture chez Rexecode

2/ Au passif, le montant des dépôts est en recul

Après avoir connu une croissance exponentielle pendant la crise de la Covid-19, le montant des dépôts bancaires est en retrait depuis 2022. Cette situation s'explique par un contexte de resserrement monétaire, qui affecte le passif des banques.

D’abord, une partie des déposants s’est appauvrie ces derniers mois, ce qui a eu pour conséquence la consommation de leur épargne, donc la diminution de leurs dépôts bancaires. , Ensuite, les épargnants sont de plus en plus nombreux à placer leurs liquidités sur des fonds monétaires, plus rémunérateurs que les comptes de dépôt. Jusqu’à la remontée des taux d’intérêt directeurs des banques centrales, le rendement de ces placements sans risque (fonds monétaires) et des comptes de dépôt était nul ou négatif. Depuis quelques mois en revanche, il est possible de placer à 3-4 % ses liquidités sur des fonds monétaires. Les épargnants arbitrent donc en faveur de ce taux plus élevé et retirent donc leur épargne de leur compte bancaire pour l’investir sur un fonds monétaire. Précisons ici que contrairement aux comptes de dépôts, les fonds monétaires ne font pas partie du bilan des banques. C’est donc dans ce cas une sortie nette de liquidités pour ces dernières. image Stagnation du niveau des dépôts - Source FRED - banques commerciales

“Les dépôts des banques commerciales ont augmenté extrêmement vite durant la crise COVID et désormais sont en baisse en termes nominaux. On parle d’une réduction d’à peu près 500 milliards de dollars sur les bilans bancaires aux États Unis.”

Charles-Henri Colombier, directeur de la Conjoncture chez Rexecode

3/ A l’actif, les banques essuient de lourdes pertes latentes sur leur portefeuille obligataire

Rappelons pour commencer pourquoi les banques ont intérêt à investir dans des obligations. Celles-ci offrent en effet un flux de revenus régulier sous forme de coupons qui peuvent être utilisés pour générer des revenus et pour répondre aux besoins de liquidité de la banque.

Les obligations peuvent aussi être utilisées comme outil de diversification du portefeuille de la banque, et se révèlent également utiles pour offrir une protection contre l’inflation et ainsi permettre à la banque de maintenir la valeur réelle de ses investissements. En effet, si les obligations sont indexées sur l’inflation, alors les paiements de coupons et le principal remboursé à l’échéance augmentent avec l’inflation.

Le pourcentage d’obligations dans le portefeuille d’une banque peut varier considérablement. Il représente en moyenne entre 20 et 50% du portefeuille total de la banque.

Les taux d’intérêts du marché des obligations sont eux-aussi impactés par l’inflation. En période inflationniste, les investisseurs attendent un coupon plus élevé en contrepartie des prêts accordés aux Etats et aux entreprises. Conséquence : les émetteurs de nouvelles obligations doivent proposer des rendements plus élevés pour trouver des investisseurs, ce qui augmente le taux de rémunération des nouvelles obligations.

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Chute de la valeur des titres obligataires

Pour les “nouveaux” investisseurs sur le marché, cette hausse des taux est donc une opportunité. Mais pour les emprunteurs, cela implique un crédit plus cher. Pour les investisseurs qui détiennent des obligations anciennes à taux fixe dont le rendement est moins élevé, cela représente une perte de valeur. Conséquence logique : la valeur de leurs obligations mal rémunérées baisse car les investisseurs préfèrent acheter des titres offrant un meilleur rendement.

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Il faut bien noter qu’en cas d’augmentation rapide des taux d’intérêts, la baisse de valeur des obligations anciennes peut être importante. On parle alors de krach obligataire. Certains investisseurs peuvent subir des pertes considérables. Pour éviter cela, il faudrait avoir une baisse progressive de la valeur des obligations, ce qui implique une remontée très lente des taux d’intérêts. Conséquence : la valeur des titres obligataires souverains a perdu près de 20% depuis début 2022 : on parle d’un krach obligataire muet.

À noter : cette perte de valeur n'est pas comptabilisée instantanément dans les bilans bancaires car il existe une différenciation entre des titres qui sont valorisés en valeur de marché, qui eux comptabilisent ces pertes de valeur, + ce qu'on appelle des titres « held to maturity » qui, eux, sont en valeur comptable et dont les moins values ne sont constatés que quand les banques doivent liquider ces titres. Donc précisément dans des situations de tension sur les liquidités, quand se manifeste un run sur les dépôts.

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Ce graphique illustre les importantes pertes latentes enregistrées par les banques américaines en 2022.

5 bonnes raisons de rester vigilant sans pour autant céder à la panique

1/ Les déposants préservés

Les récentes turbulences sur les marchés financiers ont entraîné des pertes pour les actionnaires et les créanciers des banques les plus fragiles, mais les déposants de Silicon Valley Bank ont été préservés au-delà du plafond de garantie légal, car la FDIC a décidé de garantir l’intégralité de leurs dépôts à la SVB.

2/ La fuite vers la qualité

Ce qu’il faut bien comprendre ce que l’essentiel de l’argent retiré de banques comme SVB perçue comme peu sûres est en réalité déposé dans d’autres banques, perçues comme plus sûres. Ces liquidités ne sortent donc pas du système financier ni du système bancaire puisqu’en majorité elles se retrouvent sur les comptes de dépôt d’un autre établissement bancaire, donc elles demeurent au passif d’une banque. C’est pour cela qu’on parle d’une fuite vers la qualité. Aux Etats-Unis, c’est ainsi JP Morgan Chase qui a été la grande gagnante de ces turbulences en recevant la moitié des liquidités sorties de SVB.

3/ Le niveau des indices CDS

Les indices CDS (credit default swap), qui mesurent la prime de risque que les investisseurs doivent payer pour se protéger contre un défaut de paiement, sont encore loin des niveaux atteints lors des crises précédentes en 2008-2009 et 2012-2013.

4/ Distinguer les banques américaines et européennes

Il faut également noter que les banques européennes sont moins exposées aux titres obligataires et des dépôts, sans doute plus stables car ayant moins augmenté durant la pandémie de Covid-19. De plus, elles ont des liquidités excédentaires importantes placées auprès de la BCE.

SVB était la 16e banque aux États-Unis, mais une banque régionale et non systémique. Ce qui veut dire qu’en cas de faillite de cette banque, il n’y a pas d’impact sur l’ensemble du système financier américain. Côté régulation, suite à la crise des subprimes, Sous le gouvernement de Donald Trump, en octobre 2019, le régulateur américain décide d’assouplir le Dodd-Franck Act avec une nouvelle réglementation : les « Tailoring Rules ». Cela a pour effet de réduire les contrôles sur les banques plus “petites”.

Les réglementations sont bien différentes en Europe. Les banques sont soumises à des contrôles strictes pour assurer leur solidité financière et leur résilience en cas de crise. Les banques européennes doivent respecter les normes très strictes établies par l’Union européenne en matière de supervision bancaire et de réglementation.

De nouvelles mesures visant à garantir la liquidité des banques pourraient bien être mises en place par la BCE, dont le rôle est de surveiller et de garantir la stabilité financière de la zone euro. Exemple avec les TLTROs -(targeted longer-term refinancing operations). Il s’agit d’un programme de prêts à long terme accordé par le BCE aux banques de la zone euro, à des taux d’intérêts très bas. Ce programme a pour objectif de fournir des liquidités aux banques pour qu'elles aient la possibilité de continuer à accorder des prêts.

5/ Réduction des taux d’intérêts souverains

Depuis le début du mois de mars, la détente des taux directeurs a entraîné une réduction des taux d'intérêts souverains, ce qui réduit les moins-values latentes et donc pourrait avoir un impact positif sur les bilans des banques.

Vous l’aurez compris, la faillite de la SVB a entraîné des pertes importantes pour les investisseurs de cette banque, mais les autorités financières américaines ont rapidement pris des mesures pour limiter l’impact de cette faillite sur le système financier. Il ne devrait pas y avoir de répercussions directes sur les banques européennes, qui ne subissent pas les mêmes règles en termes de régulation. Il convient toutefois de rester vigilant et de prendre des mesures pour sécuriser sa trésorerie.

Cliquez ici pour accéder au webinar sur le sujet et sur les slides correspondantes.


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