L'hôtellerie post-crise : le réveil du tourisme local en France

Selon l’INSEE, en France, la baisse globale d’activité liée à la crise du COVID-19 est d’environ 33 %, dont 5 points pour les entreprises liées au tourisme. L’hébergement et la restauration comptent parmi les secteurs les plus impactés avec une baisse de l’activité de 90 % environ. Suite à la période inédite où les hôtels ont dû fermer leurs portes en précipitation et devoir annuler les séjours de leurs clients, le secteur de l’hôtellerie va devoir se réinventer. Face à cette situation inconfortable qu’ont subi de nombreux hôteliers, des solutions ont vu le jour pour accompagner la reprise de l’activité et la mise en place de nouvelles stratégies.
Découvrez dans cet article les chiffres clés du secteur de l’hôtellerie ainsi que des témoignages de dirigeants et directeurs administratifs et financiers ayant su s’accrocher et repenser le fonctionnement de leurs entreprises hôtelières.
La mise en berne de l’activité hôtelière et des restaurants associés
Des chiffres qui plongent dans le pessimisme …
Selon le groupe d'études statistiques STR et le cabinet spécialisé In Extenso, l'hôtellerie en France ne retrouvera pas son niveau d'activité de 2019 avant 2022 au mieux. L’OFCE estime les pertes de chiffre d’affaires dans le tourisme de l’ordre de 30 à 50 % en fonction des segments. Notons que le tourisme de santé (- 54 %) et le tourisme d’affaires (- 50 %) ont été particulièrement impactés.
.... et des hôteliers qui font face à un choc inévitable
Nicolas Hesnard, Directeur Administratif et Financier du groupe Kolibri, raconte son expérience : “La totalité de nos activités de restauration, ont été mises à l’arrêt dès le 15 mars, du jour au lendemain, suivie par la fermeture de l’ensemble de nos hôtels”. Ces derniers n’ont pu rouvrir qu’au mois de juin.

Franchise Kolibri à Lorient
Pour Guillaume Gardin, franchisé Kyriad (Louvre Hotels), l’activité n’a pas été arrêtée. Il raconte : " l’arrêt de l’activité de notre restaurant a été brutale, mais notre hôtel est resté ouvert tout au long de la crise ”. Un coup de chance ? Surtout une bonne organisation ! En mars, le lundi suivant l’annonce du confinement en France, Guillaume Gardin a tenu une réunion d’équipe pour son hôtel. "Notre objectif principal était de protéger nos emplois" dit-il. Pour ce faire, grâce aux concessions et efforts de chaque collaborateur, une organisation a été mise en place de sorte que chaque employé puisse avoir cumulé une semaine de travail chaque mois du confinement. Ainsi, son hôtel a pu accueillir des travailleurs en mutation et ceux n’arrivant pas à travailler de chez eux ainsi que le personnel de maintenance et entretien de matériel médical. “ Nous sommes un hôtel en zone industrielle, donc nous avons très peu de clientèle loisir ” ajoute Guillaume Gardin. En effet, pour les hôtels accueillant principalement une clientèle internationale l’activité n’a pas été impactée de la même façon.
Un réveil douloureux : les recours aux aides de l’Etat et la lutte contre la fragilisation
Le soutien de l’Etat: une stratégie pour un secteur clé en France
Le secteur de l’hôtellerie et du tourisme en général n’a pas été délaissé par l’Etat. Le maintien de l’activité partielle, la prolongation du fonds de solidarité, les exonérations de cotisations sociales, la mise en place du PGE, l’allégement de la taxe de séjour et de la CFE (cotisation foncière des entreprises), le report des échéances de crédit et enfin la création d’un guichet unique ont permis un meilleur soutien de l’activité dans le secteur. Les aides de l’Etat ont véritablement évité la faillite de nombreux établissements.
L’hôtellerie-restauration est, après le commerce et la construction, le secteur ayant le plus bénéficié du fond de solidarité (12% des aides pour plus de 400 millions d’euros). Selon BPI France, début mai, 50 % des entreprises du secteur avaient fait une demande de PGE pour un montant global validé d’environ 4,5 milliards d’euros. Les deux segments les plus représentés ont été la restauration (2,7 milliards d’euros validés) et l’hôtellerie (1,15 milliards d’euros validés et 23 % des demandes de PGE).
Quels recours de la part des hôteliers ?
Nicolas Hesnard du groupe Kolibri témoigne : "Nous avons pris 4 grandes mesures: le recours au chômage partiel, un arbitrage rigoureux en ce qui concerne les sorties de trésorerie en pilotant au plus près les flux au quotidien, sans, dans la mesure du possible, bloquer nos fournisseurs. La suspension pour 6 mois de l’ensemble des remboursements d’emprunt du Groupe. Et enfin la mise en place d’une dizaine de PGE (prêts garantis par l’État)."
Guillaume Gardin, franchisé Kyriad à Angers a pu également bénéficier du chômage partiel pour ses employés et a sollicité le fonds de solidarité, mais il n’a pas souhaité avoir recours au PGE : "le PGE, c’est une ligne de bilan dangereuse, car l’argent facile n’existe pas, un jour ou l’autre il va falloir le rembourser et nous n’avons aucune visibilité aujourd’hui. Jouer un jeu dont les règles se définissent en cours de partie, c’est dur !". Pour éviter le recours à cette aide, il n’y a pas de solution miracle. L’essentiel est de maîtriser ses charges pour éviter d’être dans le rouge : "il a fallu être ferme avec les fournisseurs et supprimer tous les prélèvements automatiques non indispensables". Guillaume Gardin s’est vite rendu compte de l’importance du suivi de trésorerie : "On ne prend pas le temps et le recul nécessaire pour étudier les charges. Avant, on n’en avait pas besoin, car la rentabilité était là, mais désormais il devient vital de restructurer ses charges de façon plus intelligente pour reprendre en main ses ressources disponibles".
D’un arrêt brutal et improvisé, vers une ouverture graduelle et organisée
Des disparités en fonction des gammes de service et des territoires
La reprise de l’activité ne s’est pas faite à un rythme homogène pour toutes les gammes de services hôteliers. Si plus de ¾ des établissements économiques de l’hôtellerie ont relancé leur activité d’après MKG Consulting, seulement 20% de l’hôtellerie haut de gamme et luxe a pu reprendre son activité. Cela s’explique principalement par la différence de clientèle : les offres d’hébergement à bas prix ont vite trouvé leur demande avec le retour de clients, comme ceux du BTP, de la logistique et du transport de marchandises, tandis que les hôtels de luxe ont souffert de leur dépendance de longue date envers la clientèle internationale, des voyageurs long-courrier ou des grands évènements, tels que les festivals en été.
Selon une enquête du Cabinet Roland Berger, à l’issue du confinement, 96 % des professionnels du tourisme et des loisirs ont réaménagé leurs sites pour les nouvelles normes sanitaires. Tous se déclarent en capacité de reprendre leur activité dès à présent, mais seulement la moitié des professionnels envisagent de rouvrir l'ensemble de leur parc, et 73 % n’atteindrons pas le niveau de leurs capacités.
Outre ces différences liées à la gamme des services proposés, la reprise a également été influencée par des dynamiques géographiques différentes. A Paris seulement ¼ de l’hôtellerie a rouvert, contre plus de 6 sur 10 en régions. Les grandes villes ne sont pas des destinations privilégiées pour les vacances, ainsi certains hôtels de ces territoires pourraient devoir rester fermés jusqu’à la rentrée.
Une réouverture organisée : concrètement, quelles adaptations ?
Nicolas Hesnard nous raconte que lors de la réouverture de ses hôtels en juin il s’agissait surtout d’une question d’organisation opérationnelle au regard de la situation Covid et de la mise en place d’une stratégie prix cohérente : "nous avons dans un premier temps repositionné les tarifs pour privilégier d’abord le volumes au regard des prix moyens".

Franchise Kolibri à Lorient
Si l’activité principale d’hébergement n’a pas été arrêtée, tous les services habituels n’ont pas pu être maintenus dans le cas du groupe Kyriad : "en mai nous ne faisions le petit déjeuner que à emporter et n’avions pas d’équipe de nuit, ce n’est qu’en juillet que nous avons rouvert les buffets" raconte Guillaume Gardin. Pour lui, les mesures de sécurité sanitaire n’ont pas été une véritable contrainte, il a même souhaité pousser le concept plus loin en modernisant son équipement : "nous avons équipé nos femmes de chambre avec un système de vapeur sèche et avons désormais recours à une désinfection de l’air ambiant des pièces par l’ozone". Ce choix était d’une grande importance pour l’hôtel, car il s’inscrit également dans une logique de préservation de l’environnement, très chère à son dirigeant. Pour lui la période de confinement a également accéléré, outre le respect de l’environnement, la mise en oeuvre d’une autre ambition, celle de l’autosuffisance. "Notre boulangerie fournit le pain pour le restaurant et l’hôtel" remarque Guillaume Gardin. Il poursuit : "nous avons fortement réduit notre dépendance envers les fournisseurs, d’ici la fin de l’année le but est maintenant de ne faire entrer que des produits bruts et d’utiliser les ressources en interne pour la transformation".
Les nouveaux espoirs : la stimulation de l'entraide et le renforcement du tourisme local
La crise du coronavirus n’a pas eu que des retombées négatives sur le secteur du tourisme: si ce dernier a été fortement fragilisé, le contexte actuel inédit a véritablement boosté le développement du tourisme local en France. La clientèle des hôtels de haute gamme étant majoritairement internationale, il est devenu de plus en plus nécessaire de recentrer le positionnement sur les marchés de proximité, encore sous-exploités ces dernières années.
Une startup dynamique
Depuis 2017 la startup Staycation favorise par exemple des week-end dans des hôtels de luxe parisiens pour les Français souhaitant changer d’air sans pour autant devoir réaliser de longs trajets. “Staycation” est un terme d’origine anglo saxonne qui constitue un jeu de mot entre “stay” (rester) et “vacation” (vacances), signifiant donc de prendre des vacances en restant à proximité de son lieu d’habitation. C’est justement ce type de pratique que la startup a pour ambition de favoriser.
Une initiative pour soutenir le tourisme
Outre cette startup qui existait déjà avant le début de la crise, une nouvelle initiative a vu le jour pour soutenir le secteur de l'hôtellerie en France. Son nom défini clairement l’objectif principal du mouvement : “Sauve ton hôtel”. Ainsi, les hôtels participant à cette initiative regagnent leur indépendance vis-à-vis des plateformes de réservation telles que Booking et proposent en échange de leur visibilité sur le site des offres et des tarifs avantageux à leurs clients.
Les nouveaux enjeux pour les hôteliers
Qu’en est-il des témoignages des hôteliers à ce sujet ? L’activité a repris petit à petit pour le groupe Kolibri en se rapprochant progressivement du niveau d’avant la crise. Faute de festivals, la clientèle de la période estivale a baissé, “mais nous arrivons à compenser avec l’arrivée des touristes français en Bretagne qui est devenue une destination de plus en plus privilégiée en France pour cet été” témoigne Nicolas Hesnard.
Pour Guillaume Gardin les nouveaux enjeux du secteur de l’hôtellerie sont nombreux, ce qui le fait réfléchir sur diverses pistes afin d’optimiser l’espace de son hôtel : "il s’agit de trouver de nouveaux moyens pour chercher de la nouvelle valeur". Concrètement, comment orienter l’offre vers des clients nomades ? Comment valoriser les places de parkings et autres espaces communs ? Comment organiser des offres pour les entreprises et mettre en place des prestations sur mesure ? Comment faire face aux géants numériques pour reprendre en main son activité et en finir avec la dépendance envers les plateformes de réservation? Tant de nouvelles questions qui animent la réflexion sur les stratégies de développement de l’hôtel. Par ailleurs, Guillaume Gardin témoigne que l’activité au sein de l’association des investisseurs Louvre Hotels dont il est le trésorier a permis de stimuler l’entraide et simplifier la transmission de l’information durant la période du confinement. "Il fallait faire le tri, car tous les jours nous étions inondés d’informations, plus ou moins claires voire parfois contradictoires".
Tout considéré, le secteur de l’hôtellerie a fortement été marqué par la crise sanitaire liée au COVID-19. Désormais, l’enjeux principal est de repenser l’activité pour l’adapter à un contexte nouveau : inclure les mesures de distanciation sociale et de désinfection dans le quotidien des établissements, repenser la clientèle ciblée avec le développement du tourisme local et comprendre les problématiques du développement durable dans la mise en place des nouvelles stratégies... Pour intégrer efficacement ces nouveaux éléments dans l'activité hôtelière, il s'agit surtout de mettre l'accent sur ce qui est commun à toutes ces problématiques. Commencez par une gestion rigoureuse de votre cash avec l'élaboration d'un plan de trésorerie, car, comme le disent les anglo-saxons, "Cash is King" !